Les agrocarburants au coeur de la crise alimentaire
Le rêve de carburants verts sauvant la planète s'évapore chaque jour un peu plus. Dernière pièce versée au dossier : un rapport de la Banque Mondiale achevé en avril mais jamais publié. Selon le quotidien britannique Guardian, qui se l'est procuré, le document est resté dans l'ombre pour ne pas gêner le gouvernement américain. Et pour cause : si George W. Bush soutient que les agrocarburants n'ont provoqué qu'une hausse de 3% du prix des denrées alimentaires, le rapport de la Banque Mondiale chiffre cette hausse à 75% depuis 2002.
Don Mitchell, économiste à la Banque Mondiale et auteur du rapport, a étudié l'évolution du prix d'un panier représentatif entre 2002 et février 2008. Selon ses calculs, le prix total a augmenté de 140% sur cette période, dont 75% imputables directement à la culture des agrocarburants.
Dans le détail, elle ferait grimper les prix via trois mécanismes. D'abord, une partie de céréales qui étaient destinés à la filière alimentaire est désormais détournée vers les carburants « verts ». Ce serait le cas pour un tiers de la production américaine de maïs et la moitié des huiles végétales européennes. Ensuite, des terrains sur lesquels étaient cultivés des produits alimentaires ont été reconvertis en plant de colza ou de tournesol. Selon un autre document de l'institution, quelque 5 millions d'hectares auraient ainsi changé de filière ces trois dernières années. Enfin, ces deux facteurs ayant entraîné les prix à la hausse, des spéculateurs se sont emparés du marché, amplifiant le phénomène.
Quant à l'argument, souvent avancé outre-Atlantique, selon lequel les prix seraient dopés par les nouveaux comportements alimentaires des Indiens et des Chinois, le rapport le balaye : « L'augmentation rapide des revenus des pays en développement n'a pas débouché sur une hausse importante de la consommation mondiale de céréales et n'a pas été un facteur important de hausse des prix ». De même, les sécheresses en Australie n'auraient pas non plus eu un impact significatif sur les prix.
Le document, intitulé « A note on rising food prices », est un « mimeo », c'est-à-dire une étude non publiée. Il est cité comme référence dans plusieurs autres documents publics de la Banque Mondiale, qui reprennent souvent le chiffre de 15% de hausse attribuables au prix de l'énergie, mais restent très vagues sur le rôle exact des agrocarburants.
La note signale cependant que les agrocarburants ne sont pas tous égaux. Ainsi, ceux produits par le Brésil à partir de sucre de canne auraient beaucoup moins d'effet sur les prix.